Sous les étoiles - Mélissa Poprawka

«  _ Et la deuxième fois que t'es tombé amoureux, c'était quand ?
_J'étais tout seul sur la plage, assis comme ça, j'écrivais, bien tranquille, il faisait pas beau, je me souviens. Assez froid, même. J'ai écouté les vagues, longtemps, j'ai eu l'impression d'être invincible.
[..]
_ Sur mon carnet, j'ai raconté ma longue journée d'hiver ennuyante comme tout, j'ai détaillé mon repas du midi, mes devoirs, mes cours, et mes heures passées à compter les carreaux du carrelage de la classe. Je m souviens, j'avais pas grand chose à écrire parce que ma journée avait été aussi chiante que la précédente.
[…]
_ Et puis, je me suis retourné, et il y avait ce mec. Un garçon absolument canon aux yeux bleus océan qui te pétrifient sur place quand tu croises son regard. Il marchait tout droit devant lui, il a baissé la tête. Ca m'a fait marrer à l'intérieur de moi, parce qu'il n'avait pas envie de me parler, ça crevait les yeux.
[...]
_ Je lui ai parlé. Je lui ai demandé pourquoi il avait changé de trottoir parce que ça m'intriguait. Il m'a marmonné un truc que j'ai pas écouté parce que je m'en foutais. J'étais juste complètement perturbé qu'il soit là et qu'il ait l'air aussi perdu. Qu'il ait l'air d'avoir autant besoin de quelqu'un. Je me suis dit que ce n'était pas juste du hasard. Qu'il devait y avoir une raison. Et puis, d'un coup, je me suis rappelé de son prénom et je me suis souvenu de ce qu'il m'avait fait quand on était petit. Je me suis rappelé de qui il était, de quel genre de mec il était. Ou du moins, de quel genre d'enfant il avait été. Donc je lui ai demandé de se casser parce que soudain, je ne voulais plus le voir. Je ne voulais plus qu'il reste en face de moi parce qu'il m'avait donné envie de vomir ou de pleurer. Ou les deux. Et j'ai retrouvé l'inspiration, d'un coup. Il est parti et je me suis retrouvé tout seul devant la mer et les mots sont revenus. D'abord, doucement. Des bouts de phrases. Et puis d'un seul coup, comme une vague gigantesque, un tsunami. J'ai écrit comme je n'avais jamais écrit de toute ma vie, des pages et des pages et j'ai compris que c'était trop tard. Qu'il n'aurait jamais dû revenir. Et je me suis acharné longtemps à essayer de l'ignorer quand il avait décidé de venir me voir tous les soirs. Je me disais que ça marcherait, que je ne m'accrocherais pas à lui comme ça, si je ne prenais pas la peine de lui répondre. Et puis, il a commencé à venir de plus en plus souvent, de plus en plus longtemps aussi, il a commencé à me regarder intensément comme si j'étais, tu sais, les perles dans les coquillages ou les diamants dans les bagues. Il a commencé à me donner de l'importance, un truc auquel j'avais jamais eu le droit jusqu'ici, comme si on avait tout oublié, comme s'il ne m'avait jamais jugé et qu'il ne le ferait pas. Et j'avais terriblement peur parce que je sentais bien que j'étais en train de tomber amoureux et que c'était pas censé se passer comme ça parce que normalement, on ne tombe pas amoureux d'un mec qui est la cause de tes problèmes. C'est de lui que ça venait, les histoires de noyade, de psychopathe, toutes ces rumeurs à la con. Et c'est vrai que ça datait de longtemps, qu'il avait inventé ça quand il était tout petit et qu'il ne s'en rappelait même plus parce que ça n'avait jamais eu d'importance pour lui comme ça en avait pour moi mais c'est resté ancré et c'était effrayant. C'était effrayant, parce qu'il y avait une part de moi qui brûlait d'amour quand il me rejoignait. J'ai eu l'impression, pour la première fois de ma vie, de compter pour quelqu'un. Et peu à peu, au fil du temps, au fil des jours, petit à petit, j'ai commencé à oublier. A remplacer l'image que j'avais de lui par une nouvelle, toute belle, tout neuve. Et je voulais plus jamais lâcher, pour rien au monde parce qu'il m'a fait aimer la vie et c'est pas facile de faire aimer la vie à un mort. Parce que j'étais comme mort, avant qu'il se ramène sur mon bout de plage et qu'il chamboule toute mon existence. C'est ce mec là que j'ai envie de prendre dans mes bras à chaque minute qui passe parce que j'ai peur de le perdre, qu'il s'enfuie, qu'il se lasse et qu'il trouve quelqu'un d'autre. Parce que William, si tu savais comme ce mec m'est important, t'aurais peur je crois, t'aurais peur parce que c'est effrayant. Même moi, ça me terrifie. Mais je crois que je pourrais me foutre en l'air, sérieusement, s'il décidait de partir un jour parce que moi, j'ai plus que lui. Tout le reste s'est barré à côté, tout ce que j'avais s'est effondré, il est la dernière chose qu'il me reste et dont je peux encore m'accrocher en me disant que c'est pas perdu. Je suis amoureux de lui au point que s'il me demandait d'aller lui décrocher un bout de Lune ou de lui déplacer un océan, j'irais essayer, rien que pour lui montrer qu'il en vaut la peine. Qu'il vaut la peine qu'on se donne du mal pour lui.

Je suis une fontaine à larmes.

Je me suis retourné vers la fenêtre pour qu'il ne me voit pas pleurer comme une tapette mais je suis une fontaine à larmes, littéralement. J'ai le visage inondé. Complètement inondé. C'est pas possible. Il ne peut pas m'avoir dit ça. Je vais me réveiller bientôt et je n'en ai pas envie parce que ce sont les plus beaux mots que je n'ai jamais entendu de ma vie entière et ils m'étaient adressés. Et si Isaac écrit aussi bien qu'il ne parle, alors je veux lire tout de suite son carnet, immédiatement. Je dois rêver. C'est ça. C'est impossible autrement. Comme il voit que je ne réponds rien, il se lève. Je le sais parce que je l'entends. J'aurais dû l'enregistrer pour me le repasser en boucle tous les soirs de mon existence au moment de m'endormir. Je pleure. Je pleure comme je n'ai jamais encore pleuré et mon cœur bat trop vite. Il va exploser dans ma poitrine et me propulser jusqu'en Chine ou en Amazonie.

_ William ? »